Par la tradition et la convention, et à quelques exceptions près , l’université Tunisienne fonctionne selon un système qui marque une rupture radicale de mentalités entre les étudiants et leurs enseignants. Certes, selon les narratives “d’excellence” et autres illusions et sophismes, l’université Tunisienne est une école de savoir, de savoir-faire et de savoir-être qui fonctionne bien comme il faut. Mais tout étudiant qui a passé ses années dans les couloirs d’une école ou faculté Tunisienne saura que ce n’est que rarement vrai.

**Le fond du problème, à mon avis, est plutôt culturel et structurel **: la hiérarchie universitaire avec ses fameux titres (assistant, agrégé, technologue, professeur, etc..) s’est mutée en une hiérarchie d’irréprochabilité qui, couplée à l’odieux héritage patriarcal de l’université francophone, encouragée par les normes sociales en place et aggravée par une administration monstrueusement inflexible et bloquante, encourage les abus.

Il est particulièrement curieux que l’on puisse confirmer ces constats par une simple discussion avec un enseignant choisi aléatoirement. On a de fortes chances de tomber sur un génie qui fait de la super hyper ultra recherche de la science et des savoirs, un explorateur qui pousse les frontières du savoir humain et asservit par son cerveau brillantissime les forces de l’univers, un Prométhée qui se sacrifie pour voler le savoir des dieux pour le distribuer aux minables humains, pour qui les étudiants sont de petits gamins vilains qui parlent de choses qui les dépassent, et qui n’auraient même pas la capacité mentale de comprendre ses cours hyper compliqués et avancés, que dire alors de devenir des partenaires pour le progrès de leur université. Ces enseignants sont souvent à la quête éternelle de leur “respect”, d’être vénérés comme ils le méritent, de “recevoir” au lieu de “donner”. Comment oser leur demander de donner ??? Ils donnent déjà suffisamment ! Loin de pousser l’initiative et d’ouvrir les portes, ils se limitent à faire leurs cours dans le meilleur des cas, et agressent les étudiants dans le pire.

Là où l’enseignant devrait piloter l’université vers la cohésion et l’entente entre les différents acteurs, et pousser vers le partenariat bénéfique pour l’université, il devient en soi le premier problème de celle-ci, s’appuyant sur une étonnante impunité grâce à l’absence de tout mécanisme d’inspection ou de contrôle de performance.

Et la place de l’étudiant (le titre de cet article même !) dans tout cela ? Vous l’aurez compris, dans un système dominé par cette atmosphère étouffante, l’étudiant n’a de place que d’assister à ses cours et la fermer. Il va sans dire que les étudiants ne sont pas tous prédisposés ou intéressés par le développement de l’université Tunisienne, la passivité et le minimalisme font leurs ravages aussi ce qui fait des personnes motivées et actives des exceptions. Mais entre un enseignant mature, intellectuellement plus développé et par sa place dans le système plus capable d’influencer, et un étudiant qui fait ses premiers pas dans la vie adulte, je tends à blâmer les enseignants un peu plus pour l’échec de communication et de collaboration.

Après cette longue tirade à travers laquelle j’ai laissé parler mes mauvais souvenirs et expériences négatives à l’université, il est nécessaire pour équilibrer l’analyse de parler de quelques exemples brillants qui soulignent les opportunités perdues lorsque la majorité du système fonctionne de la façon décrite ci-dessus.

Au cours de mes études d’informatique à l’ENSIT (Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tunis), j’ai eu la chance de connaître des enseignantes et des enseignants qui ont ouvert les portes à toute une génération pour exceller et contribuer à l’amélioration de la qualité de l’enseignement en les engageant dans un dialogue continu et ouvert. Je me rappelle encore de cours d’une qualité impressionnante qui m’ont marqué l’esprit, de stratégies de feedback de la promo à propos du programme et des points à améliorer dans chacun des cours implémentées par le département d’informatique, ce qui a aidé à améliorer les choses au point d’avoir l’un des meilleurs cursus en Tunisie, en témoigne l’employabilité élevée des diplômés. Je me rappelle aussi d’initiatives de rapprochement des entreprises facilitées par la coopération du département avec les étudiants qui ont résulté en de nombreuses réussites remarquables. Ma gratitude à mes enseignantes et enseignants de l’ENSIT est éternelle.

Je me rappelle aussi d’une direction de l’école et d’une équipe administrative qui nous avaient encouragé à nous lancer dans l’organisation de nombreuses initiatives pour réanimer la vie associative au sein de l’école. La porte était ouverte, tout le temps, toute demande ou besoin des équipes étudiantes finissait par être satisfait. Tant concrètement que psychologiquement, les encouragements de l’administration étaient un facteur majeur dans toutes les réussites de projets exécutés par les étudiants. Tout d’un coup l’ENSIT (née en 2011 dans une sorte de doute inquiétant) existait et devenait de plus en plus visible en Tunisie et à l’étranger.

A une époque, la première édition du magazine de l’école (un des produits de cette génération pionnière) était sortie, et j’ai eu la chance d’y contribuer avec un article qui soulignait la recette de notre parcours réussi à l’ENSIT, nous étudiants, nos enseignants et notre administration:

Nostalgique que je suis, jusqu’à ce jour, en passant par Bâb Alioua là où mon école se trouve, j’ai des frissons à la vue de ce merveilleux logo imposant de l’ENSIT, un logo qui illustre en soi la recette de réussite de notre dynamique, modèle à suivre pour l’université Tunisienne: design par un étudiant artiste de l’école, conception et dossier technique par un autre étudiant, démarches commerciales par l’administration à l’aide d’étudiants, toujours, et enfin un logo qui fait notre fierté et marque l’empreinte d’une collaboration exemplaire qui a poussé l’ENSIT vers sa nouvelle ère:

Rien n’égale la capacité de pousser son école vers l’avant, rien ne l’égale. Tout un mélange d’émotions et d’ambitions en flamme avait inspiré toute une génération pour faire des initiatives, pour ouvrir des portes, pour travailler à fond, et pour réussir.